MES NOUVELLES

Etudes universitaires

Quand je leur ait annoncé ça l’année dernière, ils n’ont pas compris. Ils m’ont dit :  Papy, c’est pas raisonnable, comment veux-tu qu’on fasse notre deuil dans ces conditions !

C’était pas mon problème. C’était moi qui décidait de ce que je voulais devenir. Ils m’ont fait la gueule pendant des mois. Tous, sauf ma Suzie. Ah, la voilà la petiote.

– Ne pleure pas ma chérie, je vais bien !

Je savais qu’elle viendrait. Pourtant, elle n’habite pas tout près. Elle a tout planté là, son jules, son môme, son boulot… Elle est infirmière, ma luciole. C’est ma lumière. Quand elle est là, y a pas besoin de bougie. On pourrait les éteindre, ce serait déjà ça de gagné. Parce que le pingouin, il va nous les facturer, les chandelles !

Si mon fils m’entendait, il me traiterait encore de radin. Il a pas tout à fait tort. Arpagon qu’il m’appelait quand il était en rogne.

Bon, je vais plus râler pour quelques sous. L’important c’est qu’la p’tite soit là. C’est elle la gardienne de mes volontés.

– Pleure pas mon pigeon.

Oui, je sais, t’aimais pas quand j’appelais comme ça. Mais moi, j’les aimais ces bestioles. De la fenêtre de mon bureau, quand je travaillais encore, je les nourrissais tous les jours. C’était plus distrayant que ce que j’avais à faire. Qu’est-ce que je me suis ennuyé pendant toutes ces années!  Des paperasses à remplir qui ne servaient  qu’à emmerder l’monde.

Quand j’étais gosse, je voulais aller à l’université. Je voulais, devenir chercheur, médecin ou pharmacien. Travailler dans un laboratoire et découvrir des choses qui aideraient les gens à se sentir mieux.

Au lieu de ça, je suis resté confiné dans un bureau poussiéreux qui sentait le tabac froid et le papier jauni. C’est ça qui m’a décidé. Mort, j’ai envie de prendre ma revanche sur la vie. J’ai légué mon corps à la science.

C’est ma luciole qui va signer mon entrée à l’université.

 

Octobre 2012

Dour Festival

Manu glande depuis trois semaines. Depuis qu’il a loupé sa quatrième pour la deuxième fois.

Il avait prévu de partir en Vendée faire du camping avec ses potes, mais ses vieux lui ont coupé les vivres pour l’été.

Putain de cons! Y captent kedal. Pigent pas que les djeuns ont besoin d’air. Trop relous, torchés en sorcière, un manche à balais dans l’cul. Jean-Emmanuel de Beauregard. Tu parles d’un blaze ! C’est ouf à porter quand on rêve de pincer sa gratte et de faire carrière dans le métal. Et puis y sont chiants à crever à vouloir le faire ressembler au P’tit Prince, les cheveux blonds bien peignés, la raie rangée sur le côté. Le look bobo, sapé Abercrombie, ça l’gave. La tronche qu’ils ont tirée quand il est rentré avec deux auréoles rasées autour des oreilles, le piercing dans le pif et le jeans laminé à coups de ciseaux ! Sans parler de la chemise qui n’a plus vu de tambour depuis la remise des résultats scolaires. Elle pendouille sur l’avant  gauche et sur l’arrière de son fute, le côté droit rentré dans la ceinture. Le froc tient par habitude sur le bas de ses fesses. C’est l’uniforme de rigueur pour le concert de ce soir. Sortie qu’il a négociée à l’arraché contre deux mois de tonte de pelouses. Dour, c’est une institution. Crainios de le manquer.

Il y va en scooter. Avec son casque sans visière, on dirait un singe sur un paquet de tabac. Y trouve que ça fait plus class que l’bus. Et puis ça aide bien pour la tchatche avec les gorettes. Y parait qu’ Harmony sera là ce soir. Cette meuf, c’est d’la balle! Branchée à mort. Teint de plâtre, cheveux charbon nimbés de crasse, bouche peinte en bleu. La démarche souple comme une corde à sauter. Inaccessible. En tout cas pour Manu. Pour les autres, c’est une autre paire de capotes. Elle arbore son manque de vertu comme  un nouveau t-shirt. Elle n’est pas trop regardante, y a juste qu’elle n’aime pas les fils de bourges.

Assis sur une bâche, les chooses dans la boue, le groupe d’ados se partage un pétard en attendant le début du concert. Un joint, ça déchire, c’est cool. Ça n’a jamais été son truc, mais y va pas s’taper l’affiche en refusant. Ce serait trop la honte. Peut-être qu’Harmony kiffera et tant pis si ça lui torche les poumons.

La nuit et l’alcool ont englouti ses appréhensions. Il essaye de visser le regard d’Harmony. Il n’y voit qu’une sorte de mépris déjà voilé par la dope. Elle ne l’a même pas calculé. Ce  soir encore, Manu n’aura plus qu’à fêter sa désillusion dans la vodka Redbull.

Au p’tit matin après la teuf, il reprend sa mob allégée de son essence. Sous prétexte que son père a de la thune, ses copains font des tours jusqu’à la panne. Comme d’hab, il pousse jusqu’à la pompe.

Quand il sent le junkie derrière lui, il est trop tard pour s’arracher. La station est déserte et il n’a plus de voix pour crier. Il flippe grave. La lame sur son cou le fait pisser dans son froc.

Le coin de la gueule éclaté, un nuage de chandelles en guise d’éclairage public, il revient à lui, délesté de son portefeuille, de son gsm et du peu d’estime qu’il se portait. Il se noie calmement dans son humiliation. L’archipel de ses émotions est un continent dans lequel il a perdu la notion du temps.

Bad trip. Deux de tension.

Rentrer à la maison. Au chaud, à l’abri. Pleurer doucement dans les bras de sa mère. Comme quand il était môme. Là où il a encore, pour quelques temps, le droit d’avoir peur.

Août 2012