Une feuille plate comme une main tendue, une tige raide comme une promesse de plaisir, un éclair de fleurs blanches pour croire encore à la virginité. Un chardon hérissé pour rappeler que le bonheur ne vient jamais seul. S’y ajoutent les verts, les jaunes et les oranges qui s’affolent en bouquet de mariée dans cette lumière printanière.
Le soleil inonde la nef et les magnolias ceinturés de plomb sont traversés par l’éblouissante clarté de la journée. Au pied de l’autel, vêtue de blanc au bras de son père, elle laisse glisser derrière son voile, une larme d’émotion.
Elle a tant pleuré dans cette église. Elle a attendu toute la guerre en priant pour que son homme revienne entier. Et puis, au fil des mois, en priant pour qu’il revienne tout court.
Quatre ans de cauchemars sordides.
Usine bombardée, désaffectée. Poupée de porcelaine, balancée au gré d’un courant d’air glacial sur une balançoire aux cordes sans fin. Ecrasée sous le poids de la culpabilité de se sentir vivante et du carcan de l’attente peut-être inutile.
Camion bondé de réfugiés fuyant le feu du ciel, enlisé dans le sable de l’exode et de la déroute.
Mur de fenêtres closes ou à peine entrouvertes, ne donnant sur la vie qu’un regard noir de honte et de regrets. Souvenirs d’occupation.
Il est rentré. Broyé et mutilé dans sa conscience d’homme.
Le monde s’est emballé sans lui. Les saisons se sont enchainées dans le déferlement du progrès. Mais rien n’a fait reculer l’hiver. Ni le développement de l’automobile, ni la conquête spatiale, ni la promesse de plages exotiques.
Sur le divan rouge sang du salon, la vieillesse les a rejoints, chacun de leur côté, déposant des lunettes noires sur leurs souvenirs douloureusement enfouis.
Septembre 2011