MES HUMEURS

Vie en couleurs, cauchemars en noirs et blanc

Une feuille plate comme une main tendue, une tige raide comme une promesse de plaisir, un éclair de fleurs blanches pour croire encore à la virginité. Un chardon hérissé pour rappeler que le bonheur ne vient jamais seul. S’y ajoutent les verts, les jaunes et les oranges qui s’affolent en bouquet de mariée dans cette lumière printanière.
Le soleil inonde la nef et les magnolias ceinturés de plomb sont traversés par l’éblouissante clarté de la journée. Au pied de l’autel, vêtue de blanc au bras de son père, elle laisse glisser derrière son voile, une larme d’émotion.
Elle a tant pleuré dans cette église. Elle a attendu toute la guerre en priant pour que son homme revienne entier. Et puis, au fil des mois, en priant pour qu’il revienne tout court.

Quatre ans de cauchemars sordides.
Usine bombardée, désaffectée. Poupée de porcelaine, balancée au gré d’un courant d’air glacial sur une balançoire aux cordes sans fin. Ecrasée  sous le poids de la culpabilité de se sentir vivante et du carcan de l’attente peut-être inutile.
Camion bondé de réfugiés fuyant le feu du ciel, enlisé dans le sable de l’exode et de la déroute.
Mur de fenêtres closes ou à peine entrouvertes, ne donnant sur la vie qu’un regard noir de honte et de regrets.                                                                                                                                       Souvenirs d’occupation.

Il est rentré. Broyé et mutilé dans sa conscience d’homme.
Le monde s’est emballé sans lui. Les saisons se sont enchainées dans le déferlement du progrès. Mais rien n’a fait reculer l’hiver. Ni le développement de l’automobile, ni la conquête spatiale, ni la promesse de plages exotiques.

Sur le divan rouge sang du salon, la vieillesse les a rejoints, chacun de leur côté, déposant des lunettes noires sur leurs souvenirs douloureusement enfouis.

Septembre 2011

Elle m’attend

Une poutre en bois rectangulaire. Droite, fière.  Deux mètres cinquante de long, dix centimètres de large et quinze de haut. La poutre est perchée à un mètre vingt du sol, portée par deux grands pieds qui s’évasent pour lui assurer une parfaite assise. Recouverte d’une fine pellicule de tissu synthétique, elle ressemble à de la peau.
Beige, chaude, rugueuse comme une main qui a beaucoup travaillé. Son accroche est réelle. Elle m’aide à tenir debout. A garder  l’équilibre.

Je la sens vivante sous mes pieds. Et pourtant, à cet instant, elle ne bouge pas. Elle m’ attend.

Elle attend que je me concentre, que je libère l’énergie du saut périlleux que je m’apprête à faire. Elle amortira l’énergie cinétique de la chute par sa faible élasticité et m’aidera à maitriser la réception.

Mes orteils se cramponnent sur les bords renflés de ses flancs. Je ne vois et ne sens  plus qu’elle. Une profonde inspiration, une déflagration de puissance dans les jambes et voilà qu’elle accueille à nouveau mes pieds.

Le temps que je redresse  la tête, la poutre a retrouvé, imperceptiblement, sa rigueur de l’attente.

  Octobre 2011